Pourquoi segmenter ses publics en santé ? Les enjeux d’une approche centrée sur les besoins

Dans le domaine de la communication santé, s’adresser à « tout le monde » revient souvent à ne toucher personne. Le secteur regroupe une diversité de publics : usagers, patients, aidants, professionnels, décideurs, grand public… tous avec des besoins, des représentations, des freins et des leviers différents. Dans ce contexte, la segmentation n’est pas un luxe, mais une nécessité stratégique.

Les crises récentes (Covid-19, vaccination, infox) ont d’ailleurs mis en lumière l'importance d’adapter son discours selon les cibles pour limiter les incompréhensions et maximiser l’impact (Source : Santé Publique France). Car il ne s’agit pas uniquement de « faire passer un message », mais bien de susciter un changement de perception, d’attitude ou de comportement.

  • Publics variés : Âge, origine, profession, statut social, environnement, habitudes de vie…
  • Attentes différenciées : certains cherchent de l’information, d’autres du soutien, ou des solutions concrètes ;
  • Variables sensibles : langue, rapport à la santé, niveau de confiance envers les institutions, accès aux supports numériques…

La segmentation permet ainsi d’identifier les caractéristiques distinctives des publics afin de concevoir des actions ciblées et pertinentes, tout en respectant leur singularité. C’est aussi, d’un point de vue déontologique, une marque de respect : aller vers l’autre, ce n’est pas présupposer, c’est écouter puis adapter.

Quels bénéfices concrets ? Impacts mesurés de la segmentation sur la performance

La littérature scientifique est unanime : les campagnes segmentées affichent un taux d’efficacité significativement supérieur aux actions uniformisées. Quelques chiffres éclairants :

  • Une campagne de prévention tabac segmentée par tranche d’âge et statut tabagique voit son taux de modification d’intention augmenter de 30 % par rapport à un message « généraliste » (Journal of Health Communication, 2019).
  • En France, une campagne de vaccination contre la rougeole ciblant les jeunes adultes a permis une hausse de 45 % des vaccinations dans la tranche 20-35 ans, contre seulement 17 % sur la population globale (Santé Publique France, 2019).
  • L’OMS souligne que les campagnes prenant en compte la segmentation culturelle (langue, codes, valeurs) diminuent de 20 % le taux de rejets ou de réticence à l’information (OMS, Rapport 2021).

Segmenter permet donc :

  1. D’augmenter la pertinence du message : le contenu est mieux reçu car perçu comme conçu « pour moi ».
  2. D’améliorer la mémorisation et la compréhension : le public retient davantage un message qui fait écho à sa réalité.
  3. De renforcer l’engagement : les publics ciblés sont plus enclins à agir et à diffuser le message.
  4. De limiter les coûts : en évitant de s’éparpiller, l’allocation budgétaire devient plus rationnelle et mesurable.

Plus qu’une question d’efficacité, la segmentation favorise la justesse et l’équité en santé : adapter sa communication, c’est offrir à chacun, en fonction de ses besoins, les moyens d’accéder à la bonne information au bon moment.

Comment segmenter ses publics en communication santé ? Méthodes et critères clés

Segmenter ses publics n’est pas un exercice réservé aux grandes agences. Même les plus petites associations ou structures locales peuvent (et doivent) s’y mettre pour faire la différence. Voici les étapes incontournables :

1. Définir le ou les objectifs de communication

  • Sensibiliser ? Changer des comportements ? Favoriser l’accès à un service ?
  • Les objectifs déterminent le découpage pertinent des publics cibles.

2. Recueillir des données sur ses publics

  • Entretiens, enquêtes, questionnaires, analyse documentaire, observation terrain…
  • Prendre en compte : âge, genre, statut socio-économique, niveau de littératie en santé, rapport au numérique, langue, etc.
  • Attention à croiser les données quantitatives et qualitatives pour une vision fine.

3. Constituer des groupes homogènes et distincts

  • Identifier les points communs et les différences majeures.
  • Un groupe trop large perd en impact ; trop restreint, il complexifie la stratégie. Trouver le juste équilibre.
  • Quelques exemples :
    • Public cible : « Parents d’adolescents » / Sous-groupes : parents de collège, parents de lycée, parents monoparentaux...
    • Public cible : « Patients chroniques » / Sous-groupes : patients en ALD, patients en début de parcours, patients isolés…

4. Adapter les messages (fond et forme)

  • Utiliser le langage, les canaux et les visuels adaptés à chaque segment : ce qui parle à un jeune actif n’aura pas le même effet chez un senior.
  • S’appuyer sur les référents culturels, sociaux ou communautaires (médias de proximité, influenceurs locaux, etc.).

5. Mesurer l’impact et ajuster

  • Utiliser des indicateurs (taux de lecture, interactions, changements observés).
  • Réaliser des focus group, recueillir des retours terrain pour affiner en continu.

Exemples inspirants de segmentation en santé : ce qui marche vraiment

Pour rendre concrète la démarche, voici quelques campagnes dont la segmentation a été déterminante pour le succès :

  • Campagne « Sexosafe » (Santé Publique France) : déployée auprès des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), la campagne a travaillé une segmentation fine, non seulement sur l'orientation sexuelle, mais aussi sur les attentes, les habitudes de consommations des médias et le rapport au soin. Supports personnalisés : site web, espaces dédiés sur les applications de rencontre, vidéos témoignages. Résultat : +37 % de fréquentation des lieux de santé dédiés. Source : Santé Publique France, bilan 2019.
  • Prévention cancers du sein : plusieurs associations ont développé des communications sur-mesure à destination des femmes de moins de 50 ans éloignées du soin, en co-construisant les messages avec des ambassadrices issues des quartiers concernés. Impact : augmentation de 25 % du recours au dépistage dans ces zones ciblées. Source : La Ligue contre le Cancer, Observatoire 2022.
  • Vaccination grippe chez les seniors ruraux : ciblage des personnes âgées isolées avec support papier et interventions via les mairies et les pharmacies, là où le numérique est moins pertinent. Taux de vaccination multiplié par 2 par rapport aux années précédentes. Source : Reportage France 3 Régions, 2021.

Ces exemples démontrent que la segmentation n’est pas qu’un habillage marketing. Elle touche le processus de co-construction, le choix des canaux, la création des messages et même le mode d’évaluation. Elle permet d’exprimer le respect, la considération et l’inclusion des publics ciblés.

Quels outils et bonnes pratiques pour segmenter simplement ?

Même avec peu de moyens, chaque structure peut enclencher une démarche de segmentation efficace. Quelques ressources pratiques :

  • Matrice de segmentation simplifiée :
    • Axes principaux : âge, situation sociale, besoin d’information, degré de proximité au thème de santé, accès au numérique.
    • Outil : Tableur ou outil visuel type Miro, Canva, ou tout simplement un tableau papier.
  • Persona santé : construire 2 ou 3 profils types détaillés (persona) qui incarnent vos principaux segments. Inclure : parcours de vie, besoins, freins, leviers, liens sociaux, habitudes médias.
  • Focus groups ou entretiens informels :
    • Ciblez des membres de différents segments, recueillez leurs ressentis sur vos actions ou supports.
    • Priorisez l’écoute et la co-construction, sans préjugés.
  • Analyse des données existantes : Études de Santé Publique France, données ARS, rapports INSEE, baromètres santé, etc. Utilisez ces ressources pour affiner vos groupes.
  • Pilotage agile : Favorisez de petits tests, mesurez l’impact, corrigez rapidement si besoin (A/B testing, ajustement des visuels ou du canal, etc.).
  • Veille et inspiration : Observez ce qui se fait dans d’autres territoires ou secteurs (lutte contre le VIH, santé mentale, promotion de l’activité physique).

Quelles limites et points de vigilance ?

La segmentation, si elle est puissante, a aussi ses points de vigilance :

  • Trop segmenter : risque d’éparpillement des ressources et des messages contradictoires.
  • Exclure sans le vouloir : penser à vérifier qu’aucun public « invisible » n’est omis (exemple : précarité numérique, migrants non francophones).
  • Se contenter d’une segmentation superficielle : aller au-delà de l’âge ou du genre, et investiguer les besoins réels.
  • Le respect de la vie privée : attention au recueil de données sensibles, toujours informer et anonymiser lorsque nécessaire.

S’appuyer sur les parties prenantes (bénéficiaires, associations, travailleurs sociaux…) pour valider vos segmentations et vos messages s’avère toujours plus riche et pertinent qu’une approche descendante.

Pistes pour aller plus loin

  • Intégrer la segmentation dès la conception de tout projet, pas seulement lors de la diffusion.
  • Favoriser la co-construction avec les publics concernés, via des espaces d’expression ou des groupes utilisateurs.
  • Accompagner vos équipes et bénévoles dans la culture de la segmentation, par la formation et le partage d’expériences.
  • Inscrire la segmentation dans une démarche régulière d’évaluation et d’amélioration continue.
  • Documenter vos pratiques et vos résultats pour inspirer d’autres structures (écriture d’un retour d’expérience, présentation en réseau, etc.).

La segmentation des publics est un levier d’impact aussi accessible qu'indispensable pour les acteurs de la communication santé. En écoutant, en s’adaptant, en co-construisant, chaque structure – aussi modeste soit-elle – peut amplifier la portée et la qualité de ses actions, tout en renforçant la confiance de ses publics.

Pour approfondir : Santé Publique France, OMS, La Ligue contre le Cancer, INSEE

En savoir plus à ce sujet :