Introduction : Pourquoi repenser la communication santé pour les jeunes ?

La santé des jeunes, c’est bien plus que la prévention des risques : c’est accompagner une génération dans sa construction, face à ses propres codes et défis. Dans un monde où l’information circule vite mais pas toujours bien, toucher un adolescent ou un jeune adulte nécessite de sortir des sentiers battus. Selon l’OMS, plus de 30 % des causes de morbidité chez les 15-24 ans sont liées à des comportements à risque (source : OMS). Pourtant, ce public reste difficile à atteindre avec les modes de communication traditionnels. Loin d’être une question accessoire, la communication santé à destination des jeunes implique des enjeux éthiques, pédagogiques et techniques. Que veut dire “communiquer efficacement” lorsqu’on s’adresse à la génération la plus connectée et la mieux informée, mais pas forcément la mieux formée en matière de santé ?

Repères sur la jeunesse : diversité, autonomie et paradoxes

Parler des “jeunes”, cela ne veut rien dire. Il s’agit d’un groupe aux réalités multiples : entre 12 et 25 ans, les besoins, les modes de vie et les attentes changent profondément. On y croise des collégiens, des lycéens, des étudiants, de jeunes travailleurs… Tous partagent cependant quelques spécificités clés à connaître pour comprendre leur rapport à la santé et à la communication :

  • Recherche d’autonomie et besoin de confiance : les jeunes cherchent à construire leur propre identité, ce qui se traduit par un rapport souvent critique à l’autorité et à l’information dite “officielle”.
  • Influence majeure du groupe : la famille cède progressivement la place au groupe de pairs, dont l’avis devient déterminant dans les choix de vie.
  • Rythme évolutif, prise de risque : l’adolescence, notamment, est marquée par la recherche d’émotions, la curiosité mais aussi parfois par une minimisation des dangers.
  • Hyper-connexion, zapping et importance de l’image : Selon la ACPM, les 15-24 ans passent en moyenne 4h25 par jour sur leur mobile dont 55 % sur les réseaux sociaux en 2023.
  • Rapport ambivalent à la santé : 61 % des 15-25 ans estiment que l’information santé est importante… mais seulement 30 % s’y intéressent activement (Harris Interactive, 2022).

Difficultés et défis : pourquoi le message santé ne passe-t-il pas toujours ?

Malgré les outils numériques et l’accès démultiplié à l’information, communiquer en santé auprès des jeunes reste un vrai défi. Quelques freins sont régulièrement identifiés :

  • Défiance envers les sources institutionnelles (ministères, ARS, écoles…), perçues comme moralisatrices ou déconnectées de la réalité.
  • Multiplication des fake news et flux d’infos contradictoires. Selon le CLEMI/IFOP, 69 % des 15-18 ans déclarent rencontrer de fausses informations en santé en ligne.
  • Difficulté d’accès à un langage adapté : le jargon médical reste un obstacle majeur, à la fois pour comprendre et pour s’approprier le message.
  • Tabous, honte ou peur du jugement (thèmes : sexualité, addictions, santé mentale, handicap…)
  • Sensation d’invulnérabilité ou minimisation des risques : beaucoup pensent "cela n’arrive qu’aux autres".

D’où la nécessité de repenser le discours, la forme et la manière de diffuser l’information. Quels leviers activer pour vraiment toucher ce public ? Voici quelques pistes incontournables.

Adopter les bons codes : mode d’emploi

Favoriser la posture de “pair à pair”

  • L’identification : les jeunes sont plus réceptifs aux messages portés par leurs pairs ou par des personnes de leur univers (influenceur, animateur, étudiant…). C’est ce qui fonde le succès des ambassadeurs santé (prévention tabac, infos contraception, sensibilisation VIH…).
  • L’interaction : ateliers, forums, espaces d’échanges, dispositifs participatifs permettent à chacun d’exprimer ses besoins plutôt que de simplement recevoir une “leçon”.

Utiliser les canaux plébiscités par les jeunes

  • Les réseaux sociaux : TikTok, Instagram, Snapchat. Selon Médiamétrie, 96 % des 15-24 ans utilisent au moins un réseau social quotidiennement (Médiamétrie, 2023).
  • Le format vidéo court : l’explosion des “réels”, challenges ou mini-séries santé (ex. : “OnSExplique”, vidéos santé réalisées par des internes sur YouTube, ou “Santé Psyjeunes” sur TikTok).
  • L’audio (podcasts, playlists Spotify : témoignages, FAQ, micro-trottoirs…)

Privilégier la simplicité et l’émotion

  • Des messages directs, courts, visuels et surtout accessibles, vulgarisés : chaque mot compte.
  • L’appel à l’émotion : le récit d’expériences personnelles, la mise en scène de situations réalistes (“ça aurait pu être moi…”), les témoignages anonymes sont des leviers puissants.
  • L’humour, le second degré peuvent désamorcer la gêne, sans travestir le fond (ex. : campagnes #LoupsGarousSansPréservatif ou “Sext’Ed” sur Instagram).

La co-construction et la participation : véritables moteurs d’adhésion

Impliquer les jeunes dans l’élaboration des campagnes ou des dispositifs de prévention, c’est bien plus qu’une bonne pratique. Cette démarche répond à plusieurs impératifs :

  • Éviter les maladresses culturelles et garantir des messages "justes".
  • Favoriser l’acceptation du message, car il sera perçu comme utile et légitime.
  • Créer des relais : associations étudiantes, conseils de jeunes, collectifs lycéens, youtubeurs santé.

L’INJEP recommande d’ailleurs la création de comités ados/jeunes pour adapter les actions à la réalité du terrain (INJEP).

Illustrations concrètes : cas pratiques et campagnes réussies

  • #OnSexprime (Santé publique France) : une des campagnes les plus remarquées auprès des 15-24 ans, grâce à une présence innovante sur TikTok, vidéos stories, et interventions d’influenceurs jeunes. Plus de 9 millions de vues générées sur certains contenus en 2022 (Santé publique France).
  • Missions d’ambassadeurs santé dans les lycées : création de binômes lycéens pour faire passer des messages sur les addictions, le consentement ou la santé mentale. Taux d’adhésion : jusqu’à +42 % de participation lors d’ateliers pilotés par des pairs (source : FNAS, 2021).
  • Programme “La Boussole” (Île-de-France) : plateforme web pensée par et pour les jeunes, pour l’orientation en santé mentale, sexualité, parentalité… avec un comité éditorial d’usagers jeunes (La Boussole).

Précautions éthiques et inclusion : des messages qui respectent la diversité

  • Attention à ne pas stigmatiser certains groupes (ex : jeunes issus des quartiers, LGBTQIA+, jeunes en situation de précarité ou de handicap…)
  • Priorité à l’accessibilité : sous-titrage systématique, textes adaptés en FALC, traduction, pictogrammes, langage inclusif.
  • Sensibilisation au respect de la vie privée : l’anonymat, la confidentialité, la gestion des données personnelles doivent être garantis, surtout avec les outils en ligne.

Éthique, respect, inclusion : ces critères sont essentiels pour garantir que la communication soit réellement au service des jeunes et non une simple tentative de “récupération” marketing.

Boîte à outils : bonnes pratiques pour une communication santé jeune innovante

  • Construire avec et pour les jeunes : mettre en place des ateliers de co-création, tester ses messages sur des groupes témoins, prendre le temps du feedback.
  • Développer le réflexe image & format court : privilégier infographies, vidéos verticales courtes, stories éphémères, stickers, filtres AR…
  • Collaborer avec les bons relais : associations, dispositifs jeunesse, influenceurs engagés, podcasteurs, animateurs spécialisés.
  • Assurer un suivi et mesurer l’impact : sondages flash, questionnaires anonymes, chiffres d’engagement, retours qualitatifs. Cela permet d’ajuster les dispositifs pour mieux répondre aux vraies attentes.
  • Adapter la temporalité : un “temps fort” (campagne), c’est bien, mais la diffusion régulière de petites doses d’informations fonctionne beaucoup mieux sur le long terme.

Perspectives : construire la confiance et changer les regards

Communiquer efficacement en santé auprès des jeunes, c’est bien plus que transmettre une information ou éviter que “ça dérape”. C’est poser les bases d’une alliance durable, fondée sur la confiance et le respect : donner à chacun les clés pour agir sur sa santé, déconstruire les stéréotypes, lutter contre la désinformation et, surtout, ouvrir des espaces de dialogue. Encore trop peu d’initiatives laissent une vraie place à la parole des jeunes dans la conception des campagnes : c’est peut-être là le levier le plus puissant pour réussir, aujourd’hui et demain. Les défis sont nombreux mais chaque structure, même modeste, peut s’emparer de ces outils, s’inspirer de ces pratiques et participer à faire bouger les lignes, pour une communication santé plus inclusive, vivante et réellement impactante.

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