Pourquoi segmenter la communication santé ? Comprendre les enjeux spécifiques

La santé publique en France s’appuie sur une multitude d’acteurs aux attentes très différentes : le citoyen lambda cherche à mieux comprendre sa santé ou à agir concrètement pour soi et ses proches, tandis que l’élu, le haut-fonctionnaire ou le décideur politique doit arbitrer entre priorités, gérer des dossiers épineux ou trancher sur des budgets. Ce constat, vieux comme la santé publique, fonde la nécessité de segmenter la communication : adapter son message, son canal et son format selon la cible n’est pas un luxe, mais une condition de l'efficacité.

En 2023, la confusion ou l'indifférence du public face à des messages inadaptés a plombé plusieurs campagnes. À l’inverse, la clarté et le ciblage de la communication expliquent une grande partie du succès de campagnes comme "Mois Sans Tabac" ou de la mobilisation autour du Plan Cancer (Santé Publique France).

Segmenter la communication santé, c’est mieux répondre :

  • Aux besoins d’acculturation et de pédagogie du grand public,
  • Au besoin d’aide à la décision, d’influence et de plaidoyer auprès des décideurs politiques,
  • À l’urgence de crédibiliser le secteur face au flot d’informations contradictoires et de fake news.

Décoder les publics : attentes, motivations et comportements

Grand public : divers, informé mais méfiant

Le grand public recouvre une diversité considérable : âges, habitudes de vie, accès au numérique, niveau de littératie en santé… Plusieurs études (Santé Publique France) révèlent que si 86 % des Français se sentent concernés par leur santé, moins de la moitié estimerait avoir une compréhension suffisante des messages de prévention.

Les principaux déterminants à intégrer :

  • Niveau d’information hétérogène : Certains attendent des messages simples et visuels, d’autres souhaitent des données fiables et approfondies.
  • Méfiance croissante face aux institutions et à la parole experte : la crise Covid-19 a accentué ce phénomène.
  • Préférence pour le concret et l’expérience partagée : témoignages, récits de pairs, contenus interactifs fonctionnent mieux que les discours descendants.

Anecdote marquante : selon la Statista, 2022, seuls 24 % des Français jugent fiable l’information santé relayée par les réseaux sociaux, contre 63 % pour celle diffusée par les professionnels de santé.

Décideurs politiques : rationalité, opportunités... et contraintes

Face aux décideurs publics (députés, maires, ARS, hauts fonctionnaires…), la segmentation prend encore plus d’acuité. Ici, la pression des urgences sociales, la complexité des dossiers et la nécessité d’arbitrer sous contrainte budgétaire priment. Pour être efficace :

  • Le temps d’attention est limité : le décideur politique reçoit chaque semaine des dizaines de sollicitations sur des sujets majeurs, dont la santé.
  • Les attentes sont précises : démontrer la faisabilité, la pertinence, l’effet sur les indicateurs de santé ou les coûts, est plus déterminant que le pathos.
  • L’influence des pairs et du terrain : les témoignages d’acteurs locaux ou les preuves issues de leur circonscription/cloche d’influence peuvent peser davantage que l’argumentaire national.

Fait marquant : une étude du Sénat (2022) sur la loi « Grand Âge » montre à quel point la confrontation d’évidences locales et les démarches collectives (ex : consortiums d’hôpitaux ou d’associations) renforcent la force de conviction auprès des décideurs.

Techniques et outils concrets pour segmenter efficacement sa communication santé

1. Cercler ses messages

Le premier levier de segmentation est la granularité : définir ce que l’on dit à qui, et comment on le dit. Pour le grand public : prioriser l’information essentielle, expliciter le « à quoi ça sert », utiliser la narration, les visuels pédagogiques et la récurrence des messages. Pour le décideur politique : aller droit au fait, chiffrer l’enjeu, cadrer le message autour des leviers de décision (cohérence avec une stratégie nationale, gains attendus, innovation, impact budgétaire), et s’appuyer sur des cas probants comparables.

  • Pitch public : « Moins de sucre, c’est prévenir le diabète et les maladies cardiaques !»
  • Pitch décideur : « Un euro investi dans la promotion d’une alimentation saine économise 3 euros de dépenses liées au diabète en cinq ans » (source : OCDE).

2. Adapter ses canaux de diffusion

La segmentation, c’est aussi choisir ses supports :

  • Grand public : réseaux sociaux (campagnes sur Instagram ou TikTok pour les adolescents, Facebook pour les adultes), affiches dans les lieux publics, vidéos Youtube, spots radios régionales.
  • Décideurs : dossiers de synthèse ou fiches-argumentaires, rencontres institutionnelles, webinaires sur invitation, visites sur site, tribunes publiées sur des média spécialisés comme « Le Quotidien du Médecin » ou « La Gazette des Communes ».

En pratique, la campagne « J’arrête de fumer » multiplie depuis 2021 les posts Instagram et les vidéos de coachs, tout en transmettant simultanément aux collectivités des kits de mobilisation clés en main pour appuyer le dispositif localement (source : Mois Sans Tabac).

3. Faire évoluer ses formats et ses preuves

Vis-à-vis du grand public :

  • Miser sur l’interactivité : quiz, outils d’auto-évaluation, challenge collectif.
  • Illustrer les bénéfices immédiats, attribués au comportement.
  • Ouvrir le dialogue via les réseaux sociaux ou des ateliers.

Pour les décideurs :

  • Privilégier des études d’impact, des benchmarks avec d’autres territoires, des scénarios budgétaires.
  • Intégrer la voix des usagers, associée à des retours d’expérience de terrain.
  • Fournir des argumentaires chiffrés, courts, personnalisables par secteur ou territoire.

Exemple parlant : la Fédération Hospitalière de France a, lors des Assises de la santé mentale, transmis aux décideurs un rapport court comportant uniquement des schémas, des bullet points, et des témoignages locaux pour illustrer les besoins (source : FHF).

Méthodologie pour segmenter : 5 étapes clés

  1. Identifier et cartographier les cibles : Segmenter le grand public (adolescents, seniors, parents de jeunes enfants, etc.) ; distinguer les décideurs nationaux, régionaux, locaux ; recouper leurs centres d’intérêt et priorités.
  2. Adapter le diagnostic et l’offre : Intégrer les données de terrain et les réalités vécues pour formuler des messages socles adaptés à chaque audience.
  3. Personnaliser les messages et supports : Rédiger spécifiquement pour chaque cible, utiliser le lexique et le format adaptés – pas de copié-collé.
  4. Mesurer et ajuster l’impact : Mettre en place des indicateurs différenciés (taux d’engagement et de partage pour le grand public, nombre de rencontres et de soutiens pour les décideurs).
  5. Boucler la boucle avec un retour terrain : Solliciter régulièrement des retours directs, observer si la compréhension progresse ou si les décisions politiques évoluent.

Illustrations : deux scénarios de segmentation

1. Prévention du suicide chez les adolescents

Pour le grand public, la communication va privilégier l’écoute et la libération de la parole, via des capsules vidéo sur Youtube (« Parole d’ados »), des témoignages sur Instagram, des ateliers en milieu scolaire. Pour les décideurs, l’accent est mis sur des chiffres (25 % d’augmentation des passages aux urgences pour tentative de suicide chez les 11-17 ans entre 2019 et 2021 – Source : Santé Publique France), sur des retours de dispositifs locaux réussis (ex. baromètre du mal-être dans les colléges), et sur la faisabilité de la généralisation d’une solution.

2. Vaccination antigrippale chez les seniors

Auprès du grand public senior : mise en avant des témoignages de personnes touchées, des visuels expliquant le bénéfice concret, campagnes dans les pharmacies et via les associations de seniors. Du côté des décideurs : l’impact sur les coûts évités est à l’honneur (7 000 hospitalisations évitées par an grâce à la vaccination – source : Assurance Maladie), avec des infographies sur la surcharge hospitalière en hiver, et l’appui des fédérations de médecins.

Questions éthiques et limites de la segmentation

La segmentation n’est pas une manipulation : il ne s’agit pas de travestir la vérité ou de cacher des éléments essentiels. L’enjeu est d’adapter la compréhension sans simplifier à outrance : le public peut percevoir une « infantilisation » ou une perte de confiance si les messages semblent trop édulcorés. Pour les décideurs, un plaidoyer mal ciblé peut passer pour du lobbying ou être rejeté comme déconnecté du contexte local.

Le respect de la transparence et la vérifiabilité des messages, l’explication des sources, l’intégration du retour d’expérience et de la coconstruction avec les usagers (patients, citoyens, élus locaux) sont des garde-fous majeurs, recommandés notamment par l’OMS et la HAS.

Bonnes pratiques et ressources pour aller plus loin

  • Co-concevoir les messages avec des panels mixtes (usagers/décideurs/professionnels), à l’image des démarches de démocratie sanitaire portées par HAS et France Assos Santé.
  • S'inspirer des campagnes multisupport orchestrées par Santé Publique France, qui documente la segmentation dans ses rapports (Santé Publique France - communication et prévention).
  • Explorer les outils gratuits de design et d’évaluation de messages (Canva, Google Trends, Méthode des personas…).
  • Analyser les retours d’expériences publiés sur le site de la HAS (Haute Autorité de Santé) ou sur France Assos Santé.

Inventer la communication santé de demain : la segmentation, un levier de transformation

Segmenter les stratégies de communication santé, c’est refuser les généralités, pour construire des messages plus inclusifs, plus percutants, sans jamais sacrifier la confiance. À l’heure où fake news, crises sanitaires et précarité accroissent la défiance, investir dans la co-construction des messages, la clarté et la diversité des formats est devenu une priorité pour tous les porteurs de projets santé.

Adapter ses canaux, son langage et ses formats exige de la méthode et de la créativité, mais c’est aussi ce qui permet la mobilisation, l’appropriation et l’impact durable.

Pour tous ceux qui veulent aller plus loin, partager leurs expériences ou mutualiser des outils, la dynamique de communauté et d’entraide ouvre aujourd’hui des voies nouvelles et précieuses.

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