Des chiffres qui interpellent : l’ampleur du phénomène

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de mesurer l’ampleur de la désinformation en santé. L’OMS évoquait dès 2020 une « infodémie », mettant en garde contre la diffusion massive et rapide de fausses informations lors de la pandémie de Covid-19. Selon le Baromètre Santé 2022 de Santé publique France, 44 % des Français estiment avoir déjà été exposés à une fake news en matière de santé au cours des 12 derniers mois. Le chiffre grimpe à 60 % parmi les moins de 35 ans (Santé publique France, 2022).

  • Plus d’1 Français sur 2 utilise Internet comme principale source d’informations santé (CREDOC, 2021).
  • Selon une étude du Pew Research Center, près de 30 % des internautes américains déclarent avoir partagé involontairement une fausse information médicale.
  • En France, l’Ordre des Médecins a relevé une multiplication par 10 du nombre de signalements liés à des contenus de désinformation entre 2019 et 2022.

La désinformation impacte donc aussi bien la relation soignant-patient que la santé publique, en fragilisant la confiance et l’adhésion aux recommandations.

Pourquoi la désinformation s’installe-t-elle si facilement en santé ?

La circulation des fausses informations ne relève pas seulement du hasard ou de l’irresponsabilité individuelle : c’est un phénomène social, technique et psychologique complexe. Plusieurs facteurs l’expliquent :

  • Complexité médicale : les sujets santé sont souvent techniques, parfois anxiogènes, propices à l’interprétation et à la simplification abusive.
  • Temps de réaction : la viralité des contenus sur les réseaux sociaux dépasse la capacité des acteurs institutionnels à réagir.
  • Besoins émotionnels : en période de crise, le récit qui rassure (ou qui scandalise) circule plus vite qu’un discours nuancé. La peur du vaccin, des médicaments ou de la contamination répond à un besoin de se “protéger” en cherchant des explications alternatives.
  • Perte de confiance : les scandales sanitaires passés — sang contaminé, Médiator, etc. — ont entamé la crédibilité des autorités. Selon l’Edelman Trust Barometer 2023, seuls 47 % des Français font confiance aux institutions médicales pour leur fournir une information fiable.
  • Influence des groupes privés : l’essor des chaînes WhatsApp, des groupes Facebook privés ou des forums spécialisés favorise la diffusion d’informations non vérifiées, à l’abri des regards extérieurs.

Face à cette situation, il apparaît clairement que l’enjeu dépasse la simple rectification d’une info fausse : il s’agit de repenser tout notre rapport, en tant qu’acteur de santé, à la production et à la circulation de l’information.

Conséquences concrètes : pourquoi la désinformation “fait mal” à la santé

La désinformation n’est pas qu’un bruit de fond : ses répercussions sont tangibles, réelles et parfois graves.

  • Baisse de la vaccination et des dépistages : la France affiche par exemple l’un des taux de confiance les plus faibles d’Europe envers les vaccins (The Lancet, 2020), avec des conséquences sur la couverture vaccinale, le retour de maladies qu’on croyait éradiquées (rougeole, coqueluche par exemple).
  • Adhésion à des pratiques dangereuses : fake news véhiculant “remèdes miracles”, substances toxiques ou cures farfelues (comme la consommation de chlore dilué, promue sur certains forums).
  • Délitement du dialogue soignant-patient : la défiance induite complexifie la prise en charge, pousse parfois au refus de soin ou au report des consultations. Une enquête mené par l’Ordre des médecins en 2022 révèle que 59% des professionnels constatent une poussée de réticence ou de remise en cause d’un diagnostic après recherche internet du patient.
  • Stigmatisation et discriminations : fausses informations concernant certaines pathologies ou groupes de population (exemple : VIH, santé mentale) qui aggravent l’isolement social.

La lutte contre la désinformation devient alors un enjeu de sécurité sanitaire, mais aussi une question de justice, de confiance sociale et de respect des droits des personnes.

Des outils et méthodes pour mieux communiquer face à la désinformation

Comment les acteurs de la santé peuvent-ils alors réagir, s’adapter, progresser ? Aucun outil miracle, mais des pistes efficaces existent, s’appuyant sur la complémentarité des stratégies et la force du collectif.

1. Investir les bons canaux, au bon moment

  • Ne pas délaisser les réseaux sociaux : Twitter/X, Instagram, TikTok, Facebook et LinkedIn — ce sont souvent là que les “fakes” circulent. Participer activement à ces conversations, sans auto-censure, permet de “reprendre la main” sur le flux.
  • Réagir vite : lorsqu’une infox émerge, les premiers acteurs à communiquer bénéficient d’un effet “primeur”, leur discours ayant plus de chances d’être relayé. La veille informationnelle, couplée à des scripts ou messages prévalidés, aide à accélérer la réaction.
  • Occuper le terrain local : affichages, rencontres, événements, interventions dans les écoles… L’ancrage territorial reste l’un des meilleurs remparts à la désinformation, surtout auprès des publics éloignés du numérique.

2. Clarifier, vulgariser, illustrer

Un texte technique ne convainc pas une audience déjà sceptique. La force de la “bulle WhatsApp” ou du meme Facebook réside dans sa clarté brute. D’où la nécessité de travailler le fond et la forme :

  • Privilégier les formats courts (vidéos 1min, infographies, stories, podcasts). Une vidéo explicative attire plus l’attention qu’une page A4 en PDF.
  • Traduire le vocabulaire médical : bannir le jargon, préférer des phrases simples, expliquer systématiquement les sigles.
  • Recourir à des témoignages : la parole de “pairs” (patients, proches, témoins, soignants du quotidien) est souvent plus convaincante que la froide énumération de chiffres, surtout auprès des publics non experts (Étude Ipsos, 2023).
  • Utiliser des exemples vécus : raconter une histoire d’accompagnement, montrer une situation concrète, mettre en scène une prise de décision partagée.

3. Co-construire la communication avec les publics

C’est un des pivots de la lutte : impliquer les personnes concernées pour identifier les rumeurs émergentes, décrypter leurs inquiétudes ou besoins d’information, tester les messages. Cette démarche inclut :

  • Groupes d’échanges avec patients, aidants, jeunes, etc.
  • Valorisation des relais de proximité : éducateurs, associations locales, acteurs du médico-social…
  • Ateliers de “fact-checking” collaboratifs ou de création de ressources adaptées à un public donné.

Ce travail de terrain permet de capter les signaux faibles, de prévenir l’émergence de fausses infos et d’adapter le ton utilisé. Il valorise la confiance locale et la légitimité du message.

4. Valoriser la transparence, reconnaître les incertitudes

Face à la volatilité des connaissances scientifiques, à la complexité des contextes épidémiques, il est plus honnête — et stratégique — de clarifier ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas et ce qui peut évoluer. Les retours d’expérience montrent que les messages dans lesquels l’émetteur assume l’incertitude sont, à long terme, plus crédibles pour le public (The BMJ, 2021).

  • Indiquer les sources des données, référencer les communications officielles (INCa, HAS, OMS…)
  • Accepter d’expliquer pourquoi une recommandation a changé
  • Former les porte-paroles à répondre sans dramatiser, et à dissocier l’erreur de la faute ou de la manipulation

Se former et se renforcer collectivement : indispensables pour tenir la durée

Aucun acteur n’est à l’abri, aucun secteur n’est hors d’atteinte. Se former aux enjeux de la désinformation, c’est aussi soigner sa propre communication et déployer un “réflexe de vigilance”. Des dispositifs publics et associatifs existent :

  • Les MOOC : par exemple, le MOOC “Informer et communiquer en santé” de l’Université Paris Cité
  • Les outils de fact-checking : Vrai ou Faux de Franceinfo, “Décodeurs” du Monde, le site Factoscope Santé, ou la rubrique fake news de l’INSERM
  • Des guides pratiques : “Répondre aux fake news santé”, par l’EHESP [format PDF]
  • Formations à la prise de parole en public, analyse de l’information ou gestion de crise (offres de la Fédération Hospitalière de France, de l’AP-HP, etc.)

Vers une culture partagée de l’information santé

La désinformation en santé n’est ni une fatalité, ni une mode passagère. Elle touche tous les publics, y compris les plus “avisés”, pour des raisons multiples et souvent profondes. Elle impose de réinventer nos manières de parler de santé, de considérer l’auditeur comme un partenaire — non comme un simple récepteur. Seule une alliance dynamique entre professionnels, patients, chercheurs, médiateurs et citoyens permettra de restaurer la confiance, d’assurer la qualité du débat et d’accompagner les parcours de santé. S’inspirer des initiatives qui marchent déjà, partager les réussites et les erreurs, mutualiser les moyens : c’est aussi cela la communication santé aujourd’hui. Face à la désinformation, agir collectivement reste notre meilleur atout.

Sources mentionnées dans l’article :

  • Santé publique France, Baromètre Santé 2022
  • OMS, “Infodémie” (2020)
  • CREDOC, “La diffusion des fake news et l'information santé sur Internet” (2021)
  • Pew Research Center, “Online Health Misinformation”
  • Ordre National des Médecins, Baromètre 2022
  • The Lancet, 2020, “The state of vaccine confidence 2020”
  • Étude Ipsos, “La parole des pairs dans la communication en santé” (2023)
  • The BMJ, “Trust, transparency and the health communication challenge” (2021)

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