Pourquoi l’éthique et la responsabilité sont incontournables en communication santé ?

Informer sur la santé, c’est naviguer sur une ligne de crête : entre la nécessité de diffuser des messages clairs, fiables et utiles, et le risque de désinformation ou d’atteinte à la dignité. En France, le contexte est exigeant. Le grand public et les professionnels attendent de la rigueur, de la transparence et une attention aux enjeux sociaux et humains.

En 2022, plus de 70 % des Français ont cité la confiance dans les informations de santé comme essentielle pour agir et adapter leurs comportements (Baromètre Santé Publique France 2022). Mais face à la profusion des messages contradictoires, fake news et épidémies de désinformation, bien communiquer ne s’improvise pas.

Qu’il s’agisse d’un hôpital, d’une association, d’une institution publique ou d’un professionnel libéral, chaque acteur a la responsabilité de s’aligner sur des principes d’éthique partagés et sur la notion-clé de communication responsable.

Des valeurs fondatrices : les piliers de l’éthique en santé

  • Véracité et rigueur scientifique : Toute information diffusée doit reposer sur des données validées et actualisées. L’Ordre des Médecins rappelle que « la santé n’est pas un axe de communication comme les autres » : on ne véhicule pas d’affirmations non prouvées (Code de la santé publique, art. L4113-13).
  • Respect de la personne et de sa dignité : Les messages doivent préserver l’intimité et la singularité des patients, bannir toute stigmatisation et ne jamais porter atteinte à l’image des malades (Charte de la communication hospitalière).
  • Transparence : Il s’agit de rendre compréhensible l’origine de l’information, les intérêts en jeu et la finalité du message. Les conflits d’intérêt doivent être systématiquement signalés dans la communication, qu'elle soit écrite ou orale (HAS).
  • Loyauté et honnêteté : Le devoir de loyauté envers le public (patients, proches, relais, pairs) impose de ne pas sur-promettre ou déformer les enjeux, notamment lors de la communication sur des innovations ou promesses thérapeutiques.
  • Empathie et écoute : L’éthique ne se limite pas à ce que l’on dit, mais aussi à la façon dont on accueille les paroles, les doutes, voire les peurs. La communication responsable se nourrit du dialogue et de la co-construction avec les parties prenantes.

Les règles et cadres pour bien communiquer : ce que la loi impose en France

En France, la communication en santé relève d’un encadrement strict, croisant plusieurs grandes lois et recommandations :

  • La loi Kouchner (2002) pose le principe du droit à l’information des patients, fondement de toute communication externe et interne. Elle fait de la transparence et de l’accessibilité une obligation pour les établissements de santé et les praticiens.
  • Secret médical et confidentialité : Toute communication doit préserver la vie privée. L’identification des personnes (témoignages, photos, histoires de patients) n’est possible qu’avec consentement éclairé et explicite (CNIL, RGPD).
  • Interdiction de la publicité trompeuse : Le Code de la santé publique interdit à un professionnel d’affirmer ou de laisser entendre qu’il détient des méthodes ou traitements supérieurs à ceux de ses pairs sans validation scientifique (art. R4127-19).
  • Recommandations de l’HAS : La Haute Autorité de Santé publie régulièrement des guides pratiques sur la communication à destination des professionnels et établissements, insistant sur la justesse, l’équilibre et l’accessibilité.
  • Protection des publics vulnérables : Toute campagne cible (mineurs, personnes âgées, personnes en situation de handicap) doit faire l’objet d’une attention particulière pour éviter influence ou discours culpabilisants.

A noter : les sanctions en cas de manquement sont réelles : blâme de l’Ordre, amendes, voire suspension de l’activité professionnelle.

Communication responsable : des pratiques concrètes à adopter

Passer des principes à l’action, c’est mettre en place des réflexes et des outils éprouvés. Voici les grandes pratiques recommandées par la Fédération Française des Diabétiques, le Collectif Interassociatif sur la Santé, le Réseau français d’éducation thérapeutique, et documentées par des études récentes :

Sécuriser l’information diffusée

  • Vérifier la source des données : Croiser les informations avec au moins deux sources fiables (HAS, INCa, Santé Publique France, revues scientifiques à comité de lecture).
  • Mettre à jour régulièrement les contenus : S’assurer que les chiffres, les recommandations ou les contacts affichés restent justes et d’actualité.
  • Indiquer les limites : Préciser les niveaux de preuve, signaler les zones d’incertitude ou d’évolution rapide (par exemple, lors de crises sanitaires).

Adapter le message à la diversité des publics

  • Simplifier le vocabulaire : Bannir le jargon médical lorsque l’on s’adresse au grand public, privilégier la vulgarisation (19 % des Français ont des difficultés avec la lecture de documents très spécialisés – source : Baromètre IPSOS 2023).
  • Choisir le bon média : Privilégier l’oral, la vidéo, l’infographie ou des formats interactifs selon les profils (personnes âgées, allophones).
  • Impliquer les premiers concernés : Co-construire les supports avec des représentants d’usagers, pour garantir leur compréhension et leur appropriation. L’expérience des « patients experts » commence à se déployer dans plusieurs réseaux régionaux.
  • Traduction et accessibilité : Veiller à proposer des versions accessibles (lecture facile, langue des signes, audio).

Rendre la communication transparente et loyale

  • Identifier clairement les financeurs et partenaires sur chaque support.
  • Éviter tout argument d’autorité sans justification scientifique.
  • Piloter la modération : surveiller les réseaux sociaux pour repérer rapidement les fausses informations ou échanges pouvant heurter la dignité des personnes concernées.

Gérer l’image, le témoignage et la représentation du patient

  • Respecter le droit à l’image : Recueillir systématiquement l’autorisation écrite pour utiliser l’image ou la voix d’une personne.
  • Valoriser la diversité des vécus plutôt que de promouvoir un modèle unique du patient « idéal » ou du « guérisseur miracle ».
  • Bannir la stigmatisation : faire relire les campagnes par des personnes concernées, pour éviter les formulations maladroites ou blessantes.

Zoom : campagnes responsables, quelques initiatives qui font référence

Exemple Enseignements à retenir
Programme “Moi(s) sans tabac” (Santé Publique France) Messages positifs, soutien collectif, mention explicite des limites (“Besoin d’aide ? Contactez Tabac Info Service”). Le ton est inclusif et non moralisateur.
#MobilisationCovid19 (Ministère de la Santé) Mise à disposition de Q/R, live vidéo avec des scientifiques, bon usage des réseaux sociaux pour corriger les “infox” en direct, prise en compte du stress psychologique.
“Ma santé, mon droit”, campagne d’associations Défense du droit à l’information en santé pour les publics précaires : supports multilingues et conçus avec des associations de terrain.
La charte de la communication hospitalière (2019) Construction participative impliquant patients, familles, soignants et administratifs, pour établir des principes de respect et de co-construction systématique.

Ces réussites démontrent qu’il est possible de toucher efficacement sans jamais renoncer à l’exigence éthique.

Quels outils pour garantir une communication éthique au quotidien ?

  • Checklist de communication éthique : de nombreux établissements ont adopté des grilles internes (questions à se poser avant diffusion, incluant consentement, lisibilité, impact sur le public cible…)
  • Formation continue : de plus en plus souvent, la formation des professionnels intègre des modules sur la communication responsable et les enjeux d’e-santé (École des hautes études en santé publique, Agenda HAS, réseaux associatifs).
  • Veille collaborative : rejoindre ou créer des collectifs pour échanger sur les bonnes pratiques et se former (Fédération Nationale d’Éducation et de promotion de la santé, Alliance maladies rares…).
  • Labels et chartes éthiques : La mention « Information en santé certifiée par la HAS » commence à être promue sur les sites et applications, gage de qualité pour le public.

Outre les outils, l’implication de l’équipe en interne et le dialogue avec des représentants d’usagers sont parmi les meilleures garanties pour rester en phase avec une exigence éthique « au quotidien ».

Éclairages actuels : ce qui évolue et ce qui interpelle

  • L’irruption des réseaux sociaux : En France, 54 % des professionnels de santé estiment que les réseaux sociaux peuvent améliorer le dialogue, mais 68 % jugent que l’éthique y est plus difficile à préserver (Étude Vidal 2023). Modération, réponse aux fausses rumeurs, protection des données y représentent de nouveaux défis.
  • L’intelligence artificielle et les chatbots de santé : ils posent la question des biais, de la qualité de l’information, de la gestion des données : la CNIL et la HAS publient des recommandations régulières depuis 2021.
  • L’essor des influenceurs santé : tout créateur de contenu santé doit désormais indiquer ses liens d’intérêts, selon le Code de la santé publique (Décret mai 2023) ; la transparence devient la règle, sous peine de sanctions.
  • La participation accrue des usagers : Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, Ligue contre le cancer… de plus en plus d’acteurs font confiance aux patients-participants et intègrent leurs retours en amont des campagnes.

Le défi collectif : faire circuler l’information utile, sans faille éthique

S’engager dans l’éthique de la communication, c’est faire le choix d’une confiance durable face à la volatilité de l’opinion. Les principes fondateurs donnent un cadre, mais c’est dans la pratique quotidienne que se joue la différence : dialogue constant, auto-évaluation, partage et formation. En s’appuyant sur des outils pertinents, le respect du cadre légal, l’écoute des parties prenantes et l’ouverture constante à l’évolution des usages (numérique, participation, intelligence artificielle…), il devient possible d’allier performance, clarté, et exigence morale.

L’enjeu, demain, sera d’intégrer encore plus la parole de toutes et tous dans la conception des messages, pour une santé mieux comprise, mieux partagée et réellement accessible à tous.

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