Le défi de l’accès à l’information santé pour les publics fragiles

L’accès à l’information santé reste aujourd’hui un enjeu majeur, particulièrement chez les publics dits « fragiles » : personnes en situation de précarité, migrants, personnes âgées isolées, populations en situation de handicap, jeunes en rupture, ou habitants de territoires enclavés. De plus, selon l’INSEE, près de 13 % de la population française vit sous le seuil de pauvreté (INSEE, 2023), et 18 % des adultes de 18 à 65 ans éprouvent des difficultés avec l’écrit (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, 2021).

Ces chiffres révèlent l’ampleur du défi : comprendre, assimiler, puis agir en fonction de messages de santé publique, quand on fait face à des obstacles linguistiques, éducatifs ou sociaux, reste complexe. À cette réalité, il faut ajouter la méfiance envers certaines institutions, le manque de temps ou la surcharge administrative. L’information, même sur des sujets vitaux – vaccination, dépistages, prévention des maladies chroniques ou accès aux droits – ne circule donc pas toujours de manière fluide et efficace.

C’est précisément là qu’interviennent les associations, devenues au fil des années des maillons cruciaux du dispositif de diffusion et de médiation de l’information santé.

Quel rôle jouent les associations dans la communication santé ?

Des acteurs de proximité au cœur des territoires

Implantées localement, les associations interviennent souvent là où les institutions peinent à atteindre. Le tissu associatif – plus de 1,3 million de structures en France selon le Ministère de l’Intérieur (2023) – maillent finement le territoire. Elles sont parfois l’unique interlocuteur de santé pour des personnes éloignées du système de soins traditionnel. Les Restos du Cœur, la Croix-Rouge française, AIDES, France Alzheimer, ou les réseaux de l’Union nationale des associations familiales (UNAF), illustrent cette action à la fois ciblée et ancrée dans le quotidien.

Adaptation des messages et médiation culturelle

  • Traduction et simplification : Les associations traduisent les messages de santé en tenant compte des niveaux de compréhension, des besoins culturels, et adaptent supports, formats et canaux. Par exemple, l’association Médecins du Monde a développé des guides santé multilingues distribués dans les centres d’accueil de migrants.
  • Rôle de médiateur : Les associations forment ou emploient des médiateurs santé, qui aident à lever les freins linguistiques et sociaux, pour favoriser la confiance et l’adhésion. D’après la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), l’intervention d’un médiateur augmente de 35 % la probabilité que des personnes en situation d’exclusion prennent contact avec les services médicaux.

Création de liens de confiance et d’écoute active

Les associations agissent en tiers de confiance, notamment lorsqu’il existe une réticence envers une institution ou une peur du jugement. La proximité tissée dans la durée, la connaissance des réalités de terrain, permettent d’adapter la forme et le rythme de la transmission d’information. Les associations travaillent souvent dans une logique d’écoute active, en consultant les bénéficiaires sur leurs besoins et leurs freins face à certains messages, pour construire une information sur-mesure, et des supports véritablement utiles.

Pourquoi les associations sont-elles particulièrement efficaces auprès des publics fragiles ?

Accessibilité : aller vers, plutôt qu’attendre

Au-delà de leur expertise en santé, les associations sont souvent les seules à développer des stratégies “d’aller-vers” : maraudes sanitaires, ateliers de prévention dans des foyers d’urgence, interventions dans des squats ou des bidonvilles, stands mobiles sur les marchés ou lors d’événements communautaires, etc.

  • En 2022, la Croix-Rouge française a mené plus de 11 000 maraudes, touchant près de 50 000 personnes isolées ou en situation précaire (Croix-Rouge).
  • Plus de 6 000 bénévoles et salariés de l’association AIDES mènent des actions de prévention et d’information sur le terrain, particulièrement auprès de personnes éloignées des circuits classiques de santé (AIDES).

Des supports adaptés et co-construits

L’un des points forts du secteur associatif réside dans sa capacité à co-construire des outils et des campagnes avec les publics visés. Cela peut prendre la forme :

  • D’ateliers de création de supports accessibles (BD, podcasts, vidéos témoignages, affiches rédigées dans un langage simplifié)
  • De campagnes participatives, où les personnes concernées s’impliquent dans l’élaboration des messages
  • De diffusion sur des canaux alternatifs, relevant des usages réels (WhatsApp, Facebook, SMS, communication orale lors de permanences)

Par exemple, l’association Espace Santé Jeunes de Rennes a co-produit avec des jeunes de quartiers prioritaires des vidéos courtes sur le consentement et la contraception, diffusées dans les lieux fréquentés par les publics concernés, avec un impact supérieur aux campagnes institutionnelles classiques (source : Ville de Rennes).

Capacité à répondre à des besoins spécifiques

Certaines populations affichent des besoins particuliers : accès à la prévention VIH auprès des hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, prévention santé mentale dans les quartiers prioritaires, prise en compte des situations de handicap, ou encore éducation à la santé auprès de jeunes décrocheurs scolaires. Les associations spécialisées développent une expertise ciblée, conçoivent des outils sur-mesure et touchent ces niches que ni les campagnes nationales ni les professionnels de santé isolés n’atteignent réellement.

Quels sont les défis rencontrés par les associations en matière de relai d’information santé ?

  • Manque de moyens: De nombreuses associations sont confrontées à une fragilité financière et à des ressources humaines limitées. Cela complique la formation de relais dédiés à la communication santé, la production de supports de qualité ou le développement d’actions innovantes.
  • Difficultés d’accès aux informations officielles: Les messages institutionnels sont parfois fournis dans un format peu lisible, déconnecté des réalités de terrain, ou trop généraliste pour être pertinent.
  • Adaptation au numérique: La crise du covid-19 a accéléré la digitalisation des campagnes de prévention, or certains publics sont “hors-réseau” ; le relais associatif doit sans cesse innover pour rester accessible via différents canaux.
  • Reconnaissance institutionnelle: Les problèmes de reconnaissance des compétences spécifiques des associations persistent, alors même que leur complémentarité avec le secteur public fait aujourd’hui consensus : la stratégie nationale de santé 2023-2027 leur accorde désormais un rôle central dans la lutte contre les inégalités sociales de santé (Ministère des solidarités et de la santé).

Des exemples concrets d’impacts positifs : chiffres et initiatives remarquables

  • Impact sur la vaccination : Des campagnes menées par des associations locales lors de la crise COVID-19 ont permis d’augmenter la couverture vaccinale de plus de 10 points dans certains quartiers populaires (source : Santé publique France, 2022).
  • Lutte contre les infox et la désinformation : L’association “Les Petits Débrouillards” a formé 600 relais de terrain au décryptage critique de fausses informations santé depuis 2021, auprès de publics fragiles, contribuant à limiter la propagation de rumeurs et favoriser l’adhésion à de bonnes pratiques.
  • Sensibilisation des jeunes et accès aux droits : L’UNICEF France, via ses clubs “Jeunes Ambassadeurs”, a sensibilisé 100 000 enfants et adolescents à la santé mentale, à la vaccination et à la sexualité en 2023, y compris en zones rurales.

Outils et bonnes pratiques pour renforcer le rôle des associations dans la communication santé

Depuis plusieurs années, des outils méthodologiques spécifiques sont développés pour accompagner les acteurs associatifs dans leur mission de diffusion. Voici quelques recommandations issues de retours terrain :

  1. Former les bénévoles et salariés à la médiation santé :
    • Mise en place de « cafés info santé », dispositifs de formation thématiques (ex. repérer les situations à risque, mieux expliquer les dispositifs existants, clarifier le langage, etc.).
    • Utilisation de supports visuels, pictogrammes, capsules vidéo.
  2. Mettre en place des démarches participatives :
    • Impliquer les publics concernés dans la co-élaboration des supports.
    • Évaluer l’impact concret des supports (compréhension, appropriation, changements de comportements).
  3. Créer ou rejoindre des réseaux de mutualisation :
    • Partage de ressources et de bonnes pratiques entre associations (ex. Réseau Santé Précarité, URIOPSS en région…)
    • Accès à des banques de supports validés (Banque d’outils pédagogiques de l’IREPS, brochures d’INPES/Santé Publique France, outils de l’Alliance pour la Littératie en Santé).
  4. Développer des supports multilingues et inclusifs :
    • Traduction linguistique et adaptation sur l’illettrisme ou le handicap mental.
    • Formats audio, vidéo, FALC (Facile à lire et à comprendre).
  5. Évaluer régulièrement l’efficacité de ses actions :
    • Questionnaires de satisfaction, analyse des retours terrain, focus groupes avec les bénéficiaires.

Perspectives pour une communication santé plus juste grâce aux associations

Dans le contexte d’augmentation des inégalités sociales de santé, les associations jouent et continueront de jouer un rôle essentiel pour rendre les messages accessibles à tous. Leur capacité de mobilisation, leur ancrage territorial, leur maîtrise de la pédagogie comme de la communication non institutionnelle, en font des alliées indissociables de toute politique de santé publique réellement inclusive.

Soutenir les initiatives associatives, encourager la co-construction d’outils, reconnaître et valoriser la médiation santé, c’est agir concrètement pour une information plus juste et plus utile, touchant vraiment les publics qui en ont le plus besoin.

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