Qu’entend-on par « réseaux de professionnels » en EHPAD ?

Les maisons de retraite médicalisées, ou établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), constituent des lieux de vie où la prise en charge médicale doit composer avec des attentes sociales, éthiques et affectives fortes. La complexité croissante des pathologies rencontrées, parfois cumulées, impose une approche pluridisciplinaire. C’est là qu’interviennent les réseaux de professionnels : médecins coordonnateurs, infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, psychologues, mais aussi pharmaciens, diététiciens ou ergothérapeutes, souvent appuyés par des structures externes comme les réseaux gérontologiques, des équipes mobiles de soins palliatifs ou de psychiatrie de liaison. Leur collaboration s’inscrit dans une logique de maillage territorial et thématique, visant à améliorer la qualité et la sécurité des soins.

En 2022, la France comptait environ 7 500 EHPAD accueillant près de 600 000 résidents (source : DREES). L’enjeu d’une organisation collective efficace, par les réseaux, est donc majeur tant au plan humain qu’économique pour répondre aux défis du vieillissement de la population.

Coordination des soins : le pilier invisible mais crucial

La coordination transdisciplinaire, rendue possible par l’existence de réseaux structurés, demeure un facteur central d’amélioration des conditions de soins en EHPAD. Le médecin coordonnateur joue ici un rôle de pivot. Selon l’ANAP, 95 % des EHPAD disposent d’un médecin coordonnateur, dont la mission première est la coordination médicale de l’établissement, l’élaboration du projet de soins ainsi que l’organisation de la formation continue des professionnels.

  • Partage d’information médicale : Grâce à l’accès aux dossiers médicaux partagés et à des réunions régulières, l’ensemble des acteurs peuvent suivre l’évolution de l’état de santé des résidents et adapter, si besoin, la stratégie thérapeutique.
  • Liens avec la médecine de ville et l’hôpital : Les réseaux facilitent l’intervention précoce des spécialistes (ex : gériatres, psychiatres, équipes mobiles douleur...), évitant ainsi des hospitalisations non souhaitées ou des ruptures de parcours.
  • Gestion des situations complexes : Les réseaux permettent de solliciter des avis extérieurs (ex : RCP – réunions de concertation pluridisciplinaire) ou de mettre en place des filières de soins coordonnées (ex : parcours Alzheimer, soins palliatifs).

L’efficacité de cette coordination est d’ailleurs mesurée : selon une étude menée en Occitanie (2019, CHU de Toulouse), la création d’un réseau ville-hôpital a permis de réduire de 18 % les transferts inappropriés vers les urgences, tout en favorisant la qualité de vie au sein de l’EHPAD.

Montée en compétences : la force d’un réseau formateur

Améliorer les compétences est une dynamique constante en EHPAD où la formation doit suivre l’évolution des besoins et des outils. Les réseaux professionnels agissent comme une plateforme d’apprentissage collectif et d’innovation.

  • Actions de formation croisées : Les intervenants extérieurs (médecins spécialistes, équipes mobile, associations gérontologiques) animent régulièrement des ateliers sur des thèmes pointus, tels que la gestion de la douleur, les soins palliatifs, la prévention de la dénutrition ou les troubles du comportement.
  • Diffusion des bonnes pratiques : L’Agence Nationale d’Appui à la Performance (ANAP) et la Haute Autorité de Santé (HAS) publient des recommandations régulièrement adaptées aux situations rencontrées sur le terrain. Leur intégration se fait via des réseaux d’échanges, des conférences inter-établissements ou l’accompagnement de terrain par des experts.
  • Soutien à la gestion de crise : Lors de la pandémie de COVID-19, les réseaux de professionnels ont joué un rôle déterminant dans la circulation rapide de consignes, la mutualisation du matériel, le recours à des cellules d’écoute psychologique et la formation accélérée aux protocoles sanitaires (Le Monde, 2020).

Les chiffres montrent l’impact : ainsi, la HAS estime qu’entre 2018 et 2022, 70 % des EHPAD ont renforcé leur plan de formation grâce à des partenariats structurés, ce qui a contribué à diminuer le taux d’incidents médicamenteux graves de près de 25 %.

Innovation et mutualisation : l’apport concret des réseaux externes

La capacité à innover et à mutualiser ressources et expertises est un autre levier majeur d’amélioration.

  • Accès aux télémédecine : Les réseaux permettent d’intégrer les outils innovants, telles que la téléconsultation ou le télé-expertise, facilitant l’accès à des avis spécialisés. En 2022, plus de 50 % des EHPAD avaient recours à la télémédecine de manière régulière pour la dermatologie, la psychiatrie ou même l’analyse de plaies (DREES, chiffres 2023).
  • Réseaux de ressources humaines : Le partage de remplaçants ou d’équipes mobiles (ex : équipe mobile d’hygiène ou de rééducation) optimise la couverture des besoins, réduit les situations de sous-effectif et améliore le climat de travail.
  • Expérimentations innovantes : Plusieurs régions, telles que les Pays de la Loire ou la Nouvelle-Aquitaine, mènent des expérimentations pilotées par des réseaux de professionnels : par exemple, la création d’un « référent douleur » partagé entre plusieurs EHPAD pour systématiser la prise en charge et la prévention, ou la mise en place d’équipes mobiles Alzheimer mutualisées.

Ce tissu d’innovation participe à une amélioration continue, illustrée par l’accroissement du score de satisfaction des résidents éligibles en augmentation de 12 points entre 2017 et 2022 (Baromètre IFOP/Hospi Grand Ouest).

L’ancrage territorial : levier contre l’isolement et pour la pertinence des soins

Au-delà de l’échange interprofessionnel direct, les réseaux s’inscrivent de plus en plus dans une logique d’ouverture vers la communauté. Un EHPAD ne peut évoluer isolément : intégration dans le parcours de vie, continuité des soins ville-hôpital, relations avec les familles, interactions avec les partenaires sociaux et les associations locales.

  • Prévention et animation santé : La collaboration avec les CPTS (Communautés Professionnelles Territoriales de Santé), les élus locaux ou les centres sociaux permet d’organiser des campagnes de prévention, des ateliers mémoire ou encore l’intervention de bénévoles pour lutter contre la perte de lien social.
  • Projets communs alimentation/médication : Certains réseaux engagent des diététiciens, des pharmaciens ou des chefs de projet pour harmoniser ou diversifier l’offre de restauration, renforcer la sécurité médicamenteuse ou développer des jardins potagers thérapeutiques partagés.

La Fédération Hospitalière de France (FHF) souligne dans son rapport 2022 que les EHPAD impliqués dans des réseaux territoriaux actifs enregistrent un taux de satisfaction des familles supérieur de 14 % à la moyenne nationale et une réduction du taux de réhospitalisation à 30 jours.

Des impacts tangibles sur la qualité des soins et du vécu en EHPAD

Les bénéfices d’une organisation collaborative ne doivent pas se limiter à des chiffres de performance. Au-delà du gain de temps ou d’une meilleure traçabilité, l’intervention de réseaux professionnels influe directement sur :

  • La prévention des risques : coordination plus fine en cas de canicule, plan d’accompagnement individuel en soins palliatifs, gestion prudente des situations d’agitation ou d’errance.
  • Le bien-être au travail pour les soignants : soutien entre pairs, échanges de pratiques, dispositifs de médiation ou de supervision quand les situations deviennent complexes (sources : ONFV, 2023).
  • L’inclusion du résident et de ses proches : outils d’évaluation partagés de la satisfaction, réunions de coordination ouvertes aux familles, intégration de la parole des usagers dans le projet de soins.

Illustration frappante : un EHPAD du Val-de-Marne, membre actif d’un réseau gérontologique, a mis en place en 2021 un projet de concertation inédite avec les familles, les soignants et les partenaires extérieurs pour adapter le protocole de prévention des chutes. Résultat : une baisse de 38 % des chutes graves sur une année, avec une satisfaction exprès des résidents recueillie par enquête.

Quels défis à relever pour déployer davantage de synergies ?

  • Pérennité des réseaux : Pour être efficaces, ces structures nécessitent des financements stables et une reconnaissance institutionnelle valorisée par les Agences Régionales de Santé (ARS).
  • Formation continue et attractivité des métiers : Pour limiter le turnover, les réseaux doivent aussi intégrer dans leur logique la valorisation des carrières et la reconnaissance spécifiques des compétences acquises par l’expérience.
  • Numérisation maîtrisée des outils : Les plateformes de coordination doivent protéger les données sensibles tout en facilitant l’accès multi-acteurs (problématique RGPD, source : CNIL).
  • Evaluation régulière de l’impact : Disposer de critères de suivi clairs : taux d’hospitalisation évitée, satisfaction des familles, diminution du recours aux psychotropes, etc. (Réf : HAS, études d'impact 2022).

Perspectives : vers une généralisation de la logique de réseau en EHPAD ?

L’EHPAD de demain sera inévitablement de plus en plus connecté à son territoire, à ses partenaires et aux innovations. Les retours d’expériences positifs, les gains observés sur la prévention, la gestion de crise ou la qualité de vie au travail confortent la place centrale des réseaux professionnels. L’enjeu est désormais de consolider ces dynamiques, de dépasser les disparités territoriales et d’impliquer toujours plus les résidents et leurs familles dans le processus d’amélioration continue.

Pour aller plus loin, l’observatoire national des EHPAD (ONFV) et le site de la HAS proposent des ressources, des études d’impacts concrètes et des guides pratiques à destination des équipes souhaitant s’inspirer ou amplifier cette dynamique vertueuse d’entraide professionnelle.

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